Sur le grand trottoir
du Boulevard Haussmann
trois beaux ventanni
marchant ensemble
avec un élan de conquête
s’amusent à lancer
des coups de pied
à una boîte à cigarettes
que quelqu’un a jetée vide
sur le pavé
avec nonchalance.
Et quand ils la retrouvent
devant eux
tantôt l’un tantôt l’autre
sans s’apercevoir du jeu
nostalgie physique peut-être
qui le fait agir mécaniquement
lance un coup de pied
à la boîte à cigarettes.
Ils causent ensemble
à haute voix
de quelque affaire
de toute première importance
qui les tient fort animés
et tantôt l’un tantôt l’autre
lance de nouveau
un bon coup de pied
à la pauvre boîte
pour la jeter plus loin
sans la regarder.
Et la pauvre boîte vide
une fois arrivée
où le Boulevard se termine
tombe dans le ruisseau
qui coule
entre le trottoir et la chaussée.
Engagée dans le courant
jusqu’à une bouche d’égout
elle navigue à grande vitesse
et au moment de s’engouffrer
a un dernier regard pour le ciel
qui est bleu comme elle
un regard tout à fait spirituel
résigné et sans tristesse:
«l’on m’a désirée
l’on m’a achetée
l’on m’a caressée
de l’oeil et de la main
on m’a arraché les entrailles
cupidement
on m’a jetée vide sur le pavé
d’un geste méprisant.
Et une fois abandonnée
si cruellement
dans la rue
l’on m’a outragée publiquement
me faisant parcourir
à coups de pied
tout le Boulevard Haussmann
mais enfin...
c’étaient les coups de pied
de la jeunesse».